335 – Monnaie forte et idées courtes

Un article d' »Hadrien »

L’EURO, MONNAIE MOINS FORTE QUE LE FRANC !

Pour comparer les deux monnaies, il suffit d’en juger l’évolution sur leurs périodes d’existence respectives depuis la disparition du Gold Exchange Standard qui a laissé place aux changes flottants généralisés:
– Fin du Gold Ex. St. (15.08.1971): 1 F = 0,1816 $
– Cours fin du Franc (01.01.1999): 1 F = 0,1778 $ (-2,1% en 28 ans, soit -0,75% par décennie)
et adoption de l’Euro(01.01.1999): 1 E = 1,1667 $
– Cours act de l’Euro(22.02.2017): 1 E = 1,0513 $ (-9,89% en 18 ans, soit 5,5% par decennie, une dépréciation de l’Euro sept fois plus forte que celle du Franc)
Encore faut-il noter que l’Euro n’a pas fini sa période baissière de Quantitative Easing, contrairement au Dollar qui l’avait effectuée bien avant.
Il est donc erroné d’alléguer, comme le prétendent les médias sous influence, une forte dépréciation à redouter en cas de retour au Franc. L’Euro est en réalité une monnaie dont le cours reflète l’effet de moyenne entre Nord et Sud de l’Europe. La France occupe une position médiane, de sorte qu’un Eurofranc serait très voisin de l’Euro actuel, et devrait même subir en toute logique une légère appréciation.
Il en va évidemment très différemment avec le Mark, qui subirait une très forte appréciation ramenant ses exports à leurs justes proportions, confirmant en cela les récents propos de Donald Trump qui a jugé l’économie allemande « passager clandestin » d’un Euro « sous-évalué » par la participation des pays ne pratiquant pas la même austérité que l’Allemagne.

VOUS AVEZ DIT « Austérité » ?
En effet, en adoptant une monnaie unique et une Banque centrale inspirées par l’austérité monétaire traditionnelle du Deutschemark, mais sans structure fédérale, tous les autres pays se voient imposer leurs politiques socio-économiques : il faut compenser les écarts de compétitivité externe, non plus par le change puisqu’il n’existe plus, mais par l’austérité socio-salariale interne, seule variable restante pour s’ajuster à l’Allemagne.
Lorsque s’acheva l’introduction de l’euro, sous sa forme fiduciaire (2002), notre balance extérieure devint pour la première fois globalement déficitaire…
de peu en 2003, puis :
de 5 Mds en 2004,
de 24 Mds en 2005,
de 30 Mds en 2006,
de 42 Mds en 2007,
de 56 Mds en 2008,
etc.
Dans une Union monétaire et douanière non fédérale, c’est le pays qui s’impose le plus d’austérité socio-économique qui oblige tous les autres à le suivre !
D’où l’intérêt d’analyser d’un peu plus prés la situation socio-économique de cette Allemagne que citent volontiers tous ceux qui n’y ont jamais vécu :

OÙ LA RICHESSE MÉDIANE DE LA POPULATION EST-ELLE LA PLUS FAIBLE EN ZONE EURO ? … EN ALLEMAGNE !

C’est, en extraits, le rapport original de l’étude 2012 de la BCE tant commentée par les médias avec une gêne évidente, concernant le patrimoine net des ménages en zone euro:
http://www.ecb.europa.eu/pub/p […] bsp2en.pdf

Le patrimoine ou NET WEALTH (Richesse nette, c.a.d. moins les dettes) comporte bien:
– Real Assets (dont real estate assets, c.a.d. immobilier)
– Financial assets (avoirs financiers)

Patrimoine médian PAR MÉNAGE (Zone euro)
Luxembourg: 398 KE
Chypre: 267 KE
Malte: 216 KE
Belgique: 206 KE
Espagne: 183 KE
Italie: 173 KE
France: 116 KE
Pays-bas: 104 KE
Grèce: 102 KE
Slovénie: 101 KE
Finlande: 85 KE
Autriche: 76 KE
Portugal: 75 KE
Slovaquie: 61 KE
ALLEMAGNE: 51 KE
Patrimoine médian PAR PERSONNE :

Belgique: 95 KE
Espagne: 70 KE
Italie: 70 KE
France: 55 KE
Pays bas: 47 KE
Finlande: 45 KE
Grèce: 42 KE
Autriche: 40 KE
Portugal: 30 KE
ALLEMAGNE: 30 KE

On comprend que ce rapport ait fait scandale en Allemagne!
Avec sa politique jusqu’alors, non seulement l’Allemagne n’est pas plus riche en moyenne (cf lien sus-cité) que la France mais, on le voit, l’allemand est de richesse médiane deux fois inférieure à celle du français, ce qui traduit une inégalité sociale d’un facteur 2 (rapport de la moyenne à la médiane). C’est à cela aussi que l’euro condamne inévitablement à terme les français… et tous les autres !
Les allemands sont notamment une majorité de locataires, car seule une minorité (44%) a eu accès à la propriété…malgré son faible coût au regard des prix français ! Et l’on ne peut même pas invoquer la réunification puisque les Allemands de l’Est étaient propriétaires à 90%, pouvant tous racheter leur logement à l’État, à un coût modique, au bout d’un certain nombre d’annuités de location.
Qu’a donc fait l’Allemagne de l’Ouest de tous ses excédents commerciaux durant toute la deuxième moitié du XXe siècle ?
La réponse a malheureusement été donnée par Gaël Giraud et Cécile Rouard dans leur livre (Le facteur douze):
« les ménages allemands possédant plus de 100 millions d’actifs sont au nombre de 900, juste derrière les USA avec 3000, (contre 300 en France) », soit le nombre proportionnellement le plus grand de ces très riches parmi toute la population mondiale, faisant désormais de l’Allemagne le pays le plus inégalitaire des grands pays développés!
Là encore, un fait qui est soigneusement dissimulé par la doxa libérale qui nous engage à suivre ce modèle: les excédents allemands s’exercent au détriment des bas salaires et viennent gonfler la fortune des actionnaires d’entreprises (ce qui explique pourquoi on ne voit rien en observant le patrimoine moyen qui intègre indistinctement les deux).
On ne s’étonnera pas, après tout cela, que Alain Minc ait pu pousser ce cri du coeur dans le titre de son dernier livre: « Vive l’Allemagne » !

CONSÉQUENCE :
QUAND LA FOURMI A MOINS DE PROVISIONS QUE LES CIGALES
ELLE SE MONTRE MOINS PARTAGEUSE EN DÉPENSE PUBLIQUE…

http://www.inegalites.fr/spip.php?article1835
Dépense publique EN % DU PIB (Europe):
Danemark: 57,6
France: 56
Grèce: 51,8
Suède: 51,2
Italie: 49,9
Pays bas: 49,8
Royaume-Uni: 48,6
ALLEMAGNE: 45, 3
Espagne: 45,2

ET OBLIGE TOUT LE MONDE À FAIRE COMME ELLE :
http://fortune.fdesouche.com/3 […] ine-public

Quand aux salaires et revenus réels, on sait depuis longtemps que les salaires nominaux ne peuvent être comparés car ils n’incluent pas les mêmes choses (avantages sociaux, etc.)
De même leur moyenne peut cacher une grande masse de bas salaires sous les fortes salarisations de primes et profits divers chez les plus élevés.
Car s’imposer la stabilité des prix par une monnaie forte, alors que Dollar et Yuan pratiquent une toute autre politique monétaire, et rechercher en outre les excédents commerciaux, c’est imposer la double peine aux travailleurs de son pays :
À preuve, un certain nombre de statistiques parlantes qui en montrent l’effet désastreux:
Proportion de BAS SALAIRES en Europe (Source OCDE):
Allemagne………. 22,4%
Royaume-Uni…… 22,5%
Pays-bas……….. 18,3%
Espagne………… 14,6%
Italie…………….. 12,36%
Belgique………….. 6,37%
France…………….. 6,08%
Zone euro………. 14,74%

TAUX DE SURCHARGE DES COÛTS DU LOGEMENT, défini de façon fort claire :
« pourcentage des ménages dont le coût total du logement représente 40% ou plus du revenu disponible »
Étonnamment, il est en France le plus faible (5,2) de toute l’Eurozone (y compris Autriche 7, Portugal 8,3, etc.)
Allemagne………… 16,6
Pays-bas………….. 14,4
Espagne…………… 14,2
Belgique……………. 11
Italie………………….. 7,9
Royaume-Uni……….. 7,4
France……………….. 5,2
Zone euro………….. 11,7
(Source : EUROSTAT)

Comme pour le patrimoine, plus haut, c’est le REVENU median DISPONIBLE (beaucoup plus faible) des ménages qui doit être comparé :
http://appsso.eurostat.ec.euro […] 04&lang=fr
Or, on voit l’Allemagne passer de 16400 à 19600 euros de 2005 à 2012,
pendant que la France passe de 15900 à 20600 sur la même période !

OÙ LE CHÔMAGE (RÉEL) ÉLEVÉ EST-IL LE PLUS DISSIMULÉ ?
… EN ALLEMAGNE !

Voici, par exemple, la traduction partielle d’une étude critique, en date de 2011, que l’on peut trouver sur un site international anglo-saxon:
(http://www.wsws.org/en/articl  es/2011/11/unem-n12.html)

EMPLOI EN ALLEMAGNE: Apparence et réalité
L’agence fédérale de l’emploi allemand (BA) rapportait une nouvelle diminution du chômage.
En fait, les statistiques de cet organisme ont peu de choses à voir avec la réalité sociale.

CHÔMAGE RÉEL
Un regard plus attentif sur ces statistiques révèle tout d’abord qu’un million de sans-emploi n’est pas répertorié dans les chiffres officiels du chômage: Quelques 376 000 de plus de 58 ans sont éliminés des statistiques, de même que 190 000 à un euro de l’heure. Plus de 300 000 engagés dans des occupations de formation ne figurent pas non plus dans ces statistiques. Même chose pour 320 000 sans emploi pour cause de santé.
Manquent également dans ces chiffres tous ceux dont les aides ont été supprimées pour une raison ou une autre. En 2010, le nombre de telles suppressions augmenta de 14% d’une année sur l’autre.
Et les perspectives de suppression du BA pour l’année à venir sont presque d’un million.
C’est seulement sur la base de telles tricheries statistiques que le BA arrive à des chiffres de chômage relativement inférieurs à ceux des autres pays…
Si l’on considère seulement le nombre total des bénéficiaires d’aides, les chiffres officiels gonflent énormément, tout en gardant à l’esprit qu’en sont exclus tous ceux qui, pour diverses raisons, ne reçoivent rien.
En outre, selon la dernière estimation du BA, quelques 5,1 millions de travailleurs employés recevaient une indemnité de chômage ! Ces bénéficiaires justifient d’une forme ou d’une autre de travail, mais leurs revenus sont si faibles qu’ils relèvent des aides aux sans-emploi. Ce groupe inclue 1,4 million de gens qui sont à temps partiel, à contrat limité, ou en « mini-job », ne gagnant pas plus de 400 euros par mois, 230 000 employés à temps partiel dans d’autres catégories, et environ 320 000 qui travaillent à plein temps mais gagnent moins que le miséreuse rétribution de base, malgré 40 heures par semaine.
Le rapport du BA révèle pas mal de choses sur le taux des récipiendaires d’indemnités chômage (Hartz IV). En Juin 2011, 6,1 millions de gens parmi 3,4 millions de familles reçurent de telles indemnités Hartz IV. Dans ces familles, une moyenne de 1,9 millions de gens reçurent environ 340 euros mensuels par personne.

EMPLOIS SOUS-PAYÉS
Un fort pourcentage de ceux évacués des statistiques du chômage est constitué de jeunes immigrés ou de jeunes femmes. Munk appelle ces jeunes gens « l’armée de réserve des peu qualifiés sur le marché du travail ». Ces jeunes hommes et femmes sont inéluctablement amenés à accepter les travaux les moins bien payés.
Il n’est donc pas surprenant que le nombre de travailleurs mal payés augmente en Allemagne.
Selon une étude divulguée par « Prognos AG Reseach Company », quelques 1,2 million de gens gagnent moins de 5 eurs de l’heure et 5 millions moins de 8,50 euros (brut).
Si l’on considère le secteur des bas salaires selon les standards internationaux (définissant un bas salaire comme inférieur aux deux tiers de la moyenne), alors presque un travailleur sur quatre en Allemagne est un salarié pauvre. Cela se monte à environ 10 millions de travailleurs.
Le nombre officiel de pauvres en Allemagne est également en augmentation régulière. En 2009, le bureau fédéral des statistiques comptait approximativement 12,6 millions de pauvres. Les plus touchés par la pauvreté sont les sans-emploi et les personnes seules.
Cette croissance de la pauvreté en Allemagne est due largement aux politiques de la coalition SPD-Verts menée par le chancelier Schröder, qui mit en oeuvre en 1998 les plus grandes coupes budgétaires sociales depuis la seconde guerre mondiale.
Un chômage élevé, un secteur croissant de bas salaires et des coupes sévères dans les dépenses sociales sont à la base d’un désatre social qui ne peut que s’agraver avec le développement de la présente crise.
Les statistiques officielles tentent de le camoufler en le maquillant. Mais, contrairement aux statistiques, on ne peut pas falsifier l’expérience vécue de millions de gens.

MONNAIE FORTE ET IDÉES COURTES

Durant toute l’après guerre, on n’a cessé à propos du mark, en France et ailleurs, de confondre monnaie forte et fort pouvoir d’achat, ce qui n’a rien à voir: le mark ne se dévaluait pas, mais les (bas) salaires ne « s’évaluaient » pas non plus… Raison pour laquelle les touristes allemands ne s’arrêtaient guère en France ni en Italie !
On est également resté sur la légende bismarckienne que les Allemands avaient le même système social que nous, avec les mêmes avantages sociaux, dont on constate pourtant les différences aujourd’hui dans le revenu disponible des ménages, et surtout le faible patrimoine accumulé en Allemagne…
Or, il devrait en être différemment puisqu’une démographie qui diminue partage son acquis entre moins d’enfants !

Dans la préparation de l’euro, vu comme euro-mark, on a sur-évalué le pouvoir d’achat intérieur allemand, en fonction d’indicateurs (salaires horaires ou annuels) qui ne couvraient pas forcément la même chose (retraites, par exemple).
Ainsi, on ne nous dirait pas aujourd’hui que les allemands veulent un euro fort pour leurs retraités si ceux-ci étaient sous le régime de répartition français, qui est insensible aux évolutions de la monnaie, ce qui n’est pas le cas de la capitalisation !

Aujourd’hui, devant la crise socio-économique des pays qui souffrent le plus en Europe, la BCE a dû procéder au même « Quantitative Easing » que la Fed devant la crise financière, ce qui rend légitime la comparaison annoncée en en-tête de ce texte. Le résultat final est surprenant : non seulement l’Euro a accéléré la désindustrialisation de la France, comme tout le monde en convient, mais on constate qu’il a appauvri les français en capital monétaire et pouvoir d’achat… la seule chose dont « l’Euro-fort » était censé les protéger !

N.B.
Durant les deux derniers siècles:
– la France, tout comme l’Italie, n’a jamais fait défaut…
– L’Allemagne 6 fois ! (Prusse 1813, Hesse 1814, Schleswig-Holstein 1850, Allemagne moderne 1932, 1939, 1948)
– L’ « Ecole autrichienne » 5 fois ! (Autriche-Hongrie 1816, 1868, Autriche 1938, 1940, 1945)
– Le Royaume-Uni 4 fois (1822, 1834, 1888-89, 1932)
– Les États-Unis 3 fois (9 États 1841-1842, 10 États 1873-83, USA 1933)
– La Chine 3 fois (1921, 1932, 1939)
– Le Japon 2 fois (1942, 1946-1952)
Les préjugés ont la vie dure…
Mais avec un peu de patience, si l’on reste dans la roue des allemands sous l’euro, ça finira bien par nous arriver !

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Le blog d'André-Jacques Holbecq
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Un commentaire pour 335 – Monnaie forte et idées courtes

  1. Hadrien dit :

    (COMPLEMENTS SUR) L’EURO, MONNAIE MOINS FORTE QUE NE L’ ETAIT LE FRANC !

    Dans tout billet actuel libellé en euros, il y a certes une part implicite d’ (euro)marks et d'(euro)florins, mais aussi une proportion fortement dépréciative d'(euro)lires, etc…. et d'(euro)drachmes.
    Pour la Lire:
    – Fin du Gold Ex. St. (15.08.1971): 1 Lire = 0,0016 $
    – Cours fin de la Lire (01.01.1999): 1 Lire = 0,0006 $
    (soit une dépréciation de -60% sur les mêmes 28 ans que le Franc)
    Une Lire, renaissant aujourd’hui, subirait donc logiquement une très forte dépréciation en dollars par rapport à son cours originel lors du passage à l’Euro.

    Il en va évidemment de manière inverse avec le mark, car
    Pour le Deutschemark:
    – Fin du Gold Ex. St. (15.08.1971): 1 Dmark = 0,2955 $
    – Cours fin du Dmark (01.01.1999): 1 Dmark = 0,5965 $
    (soit une appréciation de +100% sur les mêmes 28 ans)
    Un Euromark renaissant subirait donc une forte appréciation par rapport à son cours en dollars lors du passage à l’Euro, ramenant les exports allemands à leurs justes proportions et confirmant ainsi les récents propos de Donald Trump qui a jugé l’économie allemande « passager clandestin » d’un Euro « sous-évalué » par la participation des pays du Sud.

    Ces comparaisons ne constituent, bien entendu, que la vision « tendancielle », en première approximation, telle que pourront en disposer les traders du monde entier sur leurs écrans lorsqu’ils consulteront leurs historiques en cas de sortie(s) de l’Euro.
    Il est en tous cas erroné d’alléguer, comme le prétendent d’autorité les cercles d’influence relayés par les médias, une forte dépréciation en Francs en cas de sortie(s) de l’Euro, surtout pour un spéculateur rationnel. La France, on le voit, a le privilège d’occuper une position médiane, de sorte qu’un Eurofranc serait très voisin de l’Euro actuel, et devrait même subir en toute logique une légère appréciation.
    Et lorsqu’on se réfère à « notre important déficit commercial », comme le font beaucoup pour justifier leurs prévisions alarmistes, faut-il rappeler que ce déficit n’est que le pendant de l’énorme excédent croissant de l’Allemagne dont la cause est précisément la monnaie unique, son effet devant mécaniquement disparaître avec elle.

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