225 – Rocard et Larrouturou (article du Monde)

Pourquoi faut-il que les Etats payent 600 fois plus (d’intérêts) que les banques ?

Point de vue | LEMONDE | 02.01.12 | 16h00   •  Mis à jour le 02.01.12 | 18h15

par Michel Rocard, ancien premier ministre, et Pierre Larrouturou, économiste

La Réserve fédérale a secrètement prêté aux banques en difficulté la somme de 1 200 milliards au taux incroyablement bas de 0,01 %.

Ce sont des chiffres incroyables. On savait déjà que, fin 2008, George Bush et Henry Paulson avaient mis sur la table 700 milliards de dollars (540 milliards d’euros) pour sauver les banques américaines. Une somme colossale. Mais un juge américain a récemment donné raison aux journalistes de Bloomberg qui demandaient à leur banque centrale d’être transparente sur l’aide qu’elle avait apportée elle-même au système bancaire.

Après avoir épluché 20 000 pages de documents divers, Bloomberg montre que la Réserve fédérale a secrètement prêté aux banques en difficulté la somme de 1 200 milliards au taux incroyablement bas de 0,01 %.

Au même moment, dans de nombreux pays, les peuples souffrent des plans d’austérité imposés par des gouvernements auxquels les marchés financiers n’acceptent plus de prêter quelques milliards à des taux d’intérêt inférieurs à 6, 7 ou 9 % ! Asphyxiés par de tels taux d’intérêt, les gouvernements sont « obligés » de bloquer les retraites, les allocations familiales ou les salaires des fonctionnaires et de couper dans les investissements, ce qui accroît le chômage et va nous faire plonger bientôt dans une récession très grave.

Est-il normal que, en cas de crise, les banques privées, qui se financent habituellement à 1 % auprès des banques centrales, puissent bénéficier de taux à 0,01 %, mais que, en cas de crise, certains Etats soient obligés au contraire de payer des taux 600 ou 800 fois plus élevés ? « Etre gouverné par l’argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé », affirmait Roosevelt. Il avait raison. Nous sommes en train de vivre une crise du capitalisme dérégulé qui peut être suicidaire pour notre civilisation. Comme l’écrivent Edgar Morin et Stéphane Hessel dans Le Chemin de l’espérance (Fayard, 2011), nos sociétés doivent choisir : la métamorphose ou la mort ?

Allons-nous attendre qu’il soit trop tard pour ouvrir les yeux ? Allons-nous attendre qu’il soit trop tard pour comprendre la gravité de la crise et choisir ensemble la métamorphose, avant que nos sociétés ne se disloquent ? Nous n’avons pas la possibilité ici de développer les dix ou quinze réformes concrètes qui rendraient possible cette métamorphose. Nous voulons seulement montrer qu’il est possible de donner tort à Paul Krugman quand il explique que l’Europe s’enferme dans une « spirale de la mort ». Comment donner de l’oxygène à nos finances publiques ? Comment agir sans modifier les traités, ce qui demandera des mois de travail et deviendra impossible si l’Europe est de plus en plus détestée par les peuples ?

Angela Merkel a raison de dire que rien ne doit encourager les gouvernements à continuer la fuite en avant. Mais l’essentiel des sommes que nos Etats empruntent sur les marchés financiers concerne des dettes anciennes. En 2012, la France doit emprunter quelque 400 milliards : 100 milliards qui correspondent au déficit du budget (qui serait quasi nul si on annulait les baisses d’impôts octroyées depuis dix ans) et 300 milliards qui correspondent à de vieilles dettes, qui arrivent à échéance et que nous sommes incapables de rembourser si nous ne nous sommes pas réendettés pour les mêmes montants quelques heures avant de les rembourser.

Faire payer des taux d’intérêt colossaux pour des dettes accumulées il y a cinq ou dix ans ne participe pas à responsabiliser les gouvernements mais à asphyxier nos économies au seul profit de quelques banques privées : sous prétexte qu’il y a un risque, elles prêtent à des taux très élevés, tout en sachant qu’il n’y a sans doute aucun risque réel, puisque le Fonds européen de stabilité financière (FESF) est là pour garantir la solvabilité des Etats emprunteurs…

Il faut en finir avec le deux poids, deux mesures : en nous inspirant de ce qu’a fait la banque centrale américaine pour sauver le système financier, nous proposons que la « vieille dette » de nos Etats puisse être refinancée à des taux proches de 0 %.

Il n’est pas besoin de modifier les traités européens pour mettre en oeuvre cette idée : certes, la Banque centrale européenne (BCE) n’est pas autorisée à prêter aux Etats membres, mais elle peut prêter sans limite aux organismes publics de crédit (article 21.3 du statut du système européen des banques centrales) et aux organisations internationales (article 23 du même statut). Elle peut donc prêter à 0,01 % à la Banque européenne d’investissement (BEI) ou à la Caisse des dépôts, qui, elles, peuvent prêter à 0,02 % aux Etats qui s’endettent pour rembourser leurs vieilles dettes.

Rien n’empêche de mettre en place de tels financements dès janvier ! On ne le dit pas assez : le budget de l’Italie présente un excédent primaire. Il serait donc à l’équilibre si l’Italie ne devait pas payer des frais financiers de plus en plus élevés. Faut-il laisser l’Italie sombrer dans la récession et la crise politique, ou faut-il accepter de mettre fin aux rentes des banques privées ? La réponse devrait être évidente pour qui agit en faveur du bien commun.

Le rôle que les traités donnent à la BCE est de veiller à la stabilité des prix. Comment peut-elle rester sans réagir quand certains pays voient le prix de leurs bons du Trésor doubler ou tripler en quelques mois ? La BCE doit aussi veiller à la stabilité de nos économies. Comment peut-elle rester sans agir quand le prix de la dette menace de nous faire tomber dans une récession « plus grave que celle de 1930 », d’après le gouverneur de la Banque d’Angleterre ?

Si l’on s’en tient aux traités, rien n’interdit à la BCE d’agir avec force pour faire baisser le prix de la dette. Non seulement rien ne lui interdit d’agir, mais tout l’incite à le faire. Si la BCE est fidèle aux traités, elle doit tout faire pour que diminue le prix de la dette publique. De l’avis général, c’est l’inflation la plus inquiétante !

En 1989, après la chute du Mur, il a suffi d’un mois à Helmut Kohl, François Mitterrand et aux autres chefs d’Etat européens pour décider de créer la monnaie unique. Après quatre ans de crise, qu’attendent encore nos dirigeants pour donner de l’oxygène à nos finances publiques ? Le mécanisme que nous proposons pourrait s’appliquer immédiatement, aussi bien pour diminuer le coût de la dette ancienne que pour financer des investissements fondamentaux pour notre avenir, comme un plan européen d’économie d’énergie.

Ceux qui demandent la négociation d’un nouveau traité européen ont raison : avec les pays qui le veulent, il faut construire une Europe politique, capable d’agir sur la mondialisation ; une Europe vraiment démocratique comme le proposaient déjà Wolfgang Schäuble et Karl Lamers en 1994 ou Joschka Fischer en 2000. Il faut un traité de convergence sociale et une vraie gouvernance économique.

Tout cela est indispensable. Mais aucun nouveau traité ne pourra être adopté si notre continent s’enfonce dans une « spirale de la mort » et que les citoyens en viennent à détester tout ce qui vient de Bruxelles. L’urgence est d’envoyer aux peuples un signal très clair : l’Europe n’est pas aux mains des lobbies financiers. Elle est au service des citoyens.

Michel Rocard est aussi le président du conseil d’orientation scientifique de Terra Nova depuis 2008. Pierre Larrouturou est aussi l’auteur de « Pour éviter le krach ultime » (Nova Editions, 256 p., 15€)

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Le blog d'André-Jacques Holbecq
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16 commentaires pour 225 – Rocard et Larrouturou (article du Monde)

  1. joey john smimmth dit :

    Je l’ai lu cet article. Il semblerait que le clown Rocard sorte d’un long et profond coma…

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  2. A-J Holbecq dit :

    Je recopie ci dessous un message de « M.J. » sur une liste de discussion privée

    J’ai cru comprendre que tout le monde ici n’adorait pas Michel Rocard, mais il a en tout cas lancé un gros pavé avec son article dans Le Monde d’hier, co-signé avec Pierre Larrouturou:
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/02/pourquoi-faut-il-que-les-etats-payent-600-fois-plus-que-les-banques_1624815_3232.html

    Entendu ce matin sur France-Inter:
    – David Guetta (chronique « géopolitique ») l’a longuement cité
    – Arnaud Montebourg, invité ce matin, a totalement approuvé l’idée
    – la revue de presse en a reparlé

    En bref, Rocard dit que la BCE n’a pas à prêter aux États, il suffit qu’elle prête sans intérêts à la Banque européenne d’investissement (BEI) ou à d’autres banques publiques (la Caisse des dépôts), qui reprêteront sans intérêts aux États. (seul problème, dont il ne parle pas: dans les traités actuels, la BCE est indépendante, donc il n’y a aucun moyen pour la forcer à faire cela).

    Le Monde s’est-il récemment juré de publier alternativement un article qui propose de s’attaquer aux banques, et un article qui dit que c’est une absurdité?

    À part ça, toujours aussi sujet de la loi 73-7, et de la convention qui en découle (approuvée par la loi 73-1121, de décembre 1973):

    * on a bien compris qu’elle avait été remplacée par la loi 93-980 du 4 août 1993 (application de Maastricht):
    http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000180850&fastPos=1&categorieLien=id

    * mais j’ai aussi trouvé la loi 93-944 du 23 juillet 1993 approuvant une convention conclue entre le ministre de l’économie et le gouverneur de la Banque de France:
    http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;?cidTexte=JORFTEXT000000531315&categorieLien=id

    Cette loi commence par abroger la convention annexée à la loi 73-1121, ce qui signifie selon moi qu’il n’y a eu aucune autre convention entre temps.

    Et vous lirez avec intérêt les articles 1 et 2 de la nouvelle convention, mise en annexe, qui calcule la somme que l’État devra rembourser à la banque de France.

    Une chose assez étonnante, c’est que la loi 93-944 sert à appliquer des points de la loi 93-980, mais qu’elle est sortie 10 jours avant.

    Et que penser du montant assez faible du concours de la Banque de France à l’État, en 1973?
    – 10 milliards de francs 1973, ça fait 8,2 milliards d’euros 2010 (selon l’INSEE)
    – à l’époque, l’inflation et la croissance étaient élevées, donc un prêt sans intérêt avait tendance à disparaître assez vite. Mais malgré ça, le montant accumulé doit correspondre à plusieurs années (une dizaine environ?) de concours de la BdF
    – donc ça fait un montant assez faible d’argent offert à l’État, mine de rien.
    – peut-être donc que l’argent en circulation était surtout issu de crédits bancaires du secteur privé: certes l’État pouvait faire marcher la « planche à billets » alors qu’aujourd’hui il ne le peut plus, mais les banques aussi pouvaient créer de la monnaie tout comme aujourd’hui. Il se dit qu’à l’époque les entreprises utilisaient plus l’emprunt bancaire et moins « le marché » (émission d’actions et d’obligations) que maintenant.

    M.J.

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  3. BA dit :

    Mercredi 4 janvier 2012 :

    Nouveau record absolu des dépôts des banques à la BCE.

    Les banques de la zone euro ont déposé 453,18 milliards d’euros auprès de la Banque centrale européenne (BCE) entre mardi et mercredi, soit un nouveau record absolu, a annoncé mercredi l’institution monétaire européenne.

    Ces dépôts au jour le jour ont battu des records ces dernières semaines, ce qui témoigne de profonds dysfonctionnements du marché du prêt interbancaire, malgré les efforts de la BCE pour abreuver les banques en liquidités.

    http://www.romandie.com/news/n/_ALERTE___Nouveau_record_absolu_des_depots_des_banques_a_la_BCE040120120901.asp

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  4. BA dit :

    2012, l’année des faillites bancaires ?

    La BCE a prêté 489 milliards d’euros (sur 3 ans à 1 %) à 523 banques européennes, parce que le marché interbancaire ne fonctionne plus (les banques n’ont plus confiance entre elles). Que font les banques de cet argent ? Elles le replacent à la BCE !!! 453 milliards exactement sont placés à la banque centrale, au jour le jour, à un taux inférieur à ces 1 % l’an. Les banques perdent donc de l’argent sur cette opération. C’est Ubu-banque.

    Que pourraient-elles faire d’autre ? Des crédits aux entreprises et aux particuliers ? Mais avec la récession, le taux d’impayés augmente, c’est trop risqué.

    Acheter des emprunts d’Etat qui rapportent de 3 à 7% (France, Italie, Espagne, mettons la Grèce de côté) ? Voilà une opération qui serait très rentable (emprunter à 1% et prêter à 3% ou plus), mais un pays peut faire défaut, aucun n’est à l’abri (ou il peut voir ses taux monter, ce qui diminue la valeur de ses anciens emprunts). Résultat : les banques choisissent la sécurité, quitte à perdre de l’argent.

    Tout cet argent ne rassure même pas les partenaires étrangers, la preuve : la BCE a accordé aujourd’hui 31 milliards de prêts en dollars à des banques de la zone euro qui ont du mal à s’en procurer sur les marchés. Si une banque américaine ne prête pas de dollars à une banque européenne, qui possède pourtant des milliards d’euros de liquidité provenant de la BCE, cela signifie qu’elle doute de sa solvabilité, elle pense qu’elle peut faire faillite avant de rembourser ce prêt. Résultat : la BCE s’y colle (elle se procure ces dollars auprès de la Fed).

    Tout cela nous montre un système bancaire qui agonise lentement, qui connaît un grave problème de solvabilité, et pour lequel un déluge de liquidités (comme celui que vient de faire la BCE) ne fait que repousser les échéances.

    Les banques ne valent vraiment plus grand chose, la preuve : la plus grande banque italienne, Unicrédit, annonce une décote de 43 % pour son augmentation de capital (son action cote 5,705 euros à la bourse de Milan, elle émet des actions à 1,943 euros pour lever des fonds).

    Les actions bancaires ont déjà perdu environ 90 % de leur valeur depuis la crise de 2008, mais divisez encore leur cours par deux pour avoir une idée à peu près plus juste, et encore.

    Bonne année 2012 malgré tout et, ce sera le conseil pour cette nouvelle année, intégrez le risque bancaire dans vos décisions patrimoniales (c’est-à-dire ouvrez plusieurs comptes pour répartir les risques, achetez de l’or physique, privilégiez les actifs réels aux actifs papiers i.e. gérés par les banques), parce que nous risquons fort de connaître, en France et en Europe, des faillites bancaires.

    Philippe Herlin.

    http://ladettedelafrance.blogspot.com/2012/01/2012-lannee-des-faillites-bancaires.html

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    • Tétef dit :

      L’argent n’est pas un objet matériel que l’ont peut se passer de main en main entre agents. La BCE prête 489 milliard de monnaie centrale aux agents financiers. La monnaie centrale ne peut pas se convertir en monnaie secondaire disponible pour les agents non financier. Le seul destin de la monnaie centrale est d’être sur un compte de dépôt de la banque centrale.

      Les crédits de la BCE ont engendré des dépôts à la BCE. Or seules les banques (, le trésor public et les autres BC) peuvent avoir un compte à la BCE. Donc forcément en faisant grossir la feuille comptable de la BCE, les dépôts des banques vont augmenter.

      A mes yeux, se plaindre de voir plus de dépôts à la BCE après une opération de prêt de la part de la banque centrale aux banque de second rang est la manifestation d’une mauvaise compréhension du système bancaire.

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  5. BA dit :

    Jeudi 5 janvier 2012 :

    Espagne :

    La Bourse de Madrid chute de 2,94 %, emportée par les banques.

    La Bourse de Madrid a terminé jeudi sur une chute de 2,94 % à 8.329,6 points, emportée par la débâcle des valeurs bancaires, dans un climat d’inquiétudes des marchés envers le secteur en Europe et en Espagne.

    La banque Santander, numéro un dans la zone euro par la capitalisation, a cédé 4,51 % à 5,529 euros, tandis que BBVA, deuxième banque espagnole, a plongé de 5,03 % à 6,3 euros.

    Le numéro trois Caixabank a lui perdu 3,13 % à 3,749 euros, et la quatrième banque du pays Bankia a reculé de 1,98 % à 3,511 euros.

    Les marchés demeurent inquiets face à la santé du secteur bancaire européen, tandis qu’en Espagne, le ministre de l’Economie Luis de Guindos a chiffré à 50 milliards d’euros le besoin de provisions supplémentaires des banques.

    Italie :

    La Bourse de Milan lâche 3,65 %, la banque UniCredit dévisse encore de 17 %.

    La Bourse de Milan a terminé la séance jeudi sur une chute de 3,65 % à 14.767 points, plombée par les craintes des investisseurs au sujet des banques, et en particulier d’UniCredit qui a dévissé de 17,27 % à 4,48 euros, après s’être effondrée de plus de 14 % mercredi.

    UniCredit a entraîné dans sa chute les autres valeurs bancaires. Banca Popolare di Milano a ainsi abandonné 10,74 % à 0,2735 euro, UBI Banca a chuté de 8,90 % à 2,928 euros, et Intesa Sanpaolo 7,33 % à 1,189 euro.

    http://www.romandie.com/news/n/_ALERTE___La_Bourse_de_Milan_lache_365_UniCredit_devisse_encore_de_17050120121701.asp

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  6. BA dit :

    Si l’euro explose, ce sera à la suite de défauts souverains tels qu’ils entraîneront immédiatement un effondrement bancaire – à moins que celui-ci ne se produise tout seul, par pure et simple anticipation des premiers. Dans tous les cas, le coeur de l’affaire sera une fois de plus le système bancaire et l’impossibilité de le laisser aller à la ruine sans autre forme de procès – proposition dont il faut sans cesse redire qu’elle n’est pas équivalente à « le remettre sur les rails et le faire repartir pour un tour » ; j’en profite donc pour ajouter qu’après m’avoir fait longtemps très peur, la perspective de cet effondrement m’est presque devenue agréable, car l’occasion serait enfin créée d’abord de nationaliser intégralement le secteur bancaire par saisie pure et simple, puis de le faire muter sous l’espèce d’un « système socialisé du crédit ». Si donc nous nous plaçons dans l’hypothèse de l’effondrement bancaire, la question est de savoir quelle est, en l’absence des États, eux-mêmes ruinés, l’institution capable d’organiser le redressement financier des banques pour leur faire reprendre leur activité de fourniture de crédit. Dans cette configuration, il n’en reste plus qu’une : la banque centrale européenne. Elle ne devrait pas seulement leur assurer un soutien de liquidité (ce qui est déjà le cas) mais les débarrasser de leurs actifs dévalorisés et les recapitaliser, et enfin garantir les dépôts et les épargnes. Inutile de dire qu’à l’échelle du secteur bancaire entier, c’est une opération de création monétaire massive à laquelle il faudra consentir. La BCE y est-elle prête ? Sous influence allemande, il est à craindre que non. Or l’urgence extrême de restaurer dans leur intégrité les encaisses monétaires du public et de rétablir le fonctionnement du système des paiements appellera une action dans la journée ! C’est dire que les longues tergiversations pour « parler à nos amis allemands » ou renégocier un traité auront depuis belle lurette disparu de la liste des solutions pertinentes. Face à ce qu’il faut bien identifier comme des enjeux vitaux pour le corps social, un État, confronté au non-vouloir de la BCE, prendrait immédiatement la décision de réarmer sa propre banque centrale nationale pour lui faire émettre de la monnaie en quantité suffisante et reconstituer au plus vite un bout de système bancaire en situation d’opérer. Observant alors au coeur de la zone une ou des source(s) de création monétaire hors de contrôle, c’est-à-dire une génération d’euros impurs, susceptible de corrompre les euros purs dont la BCE a seule le privilège d’émission, l’Allemagne, cour constitutionnelle de Karlsruhe en tête, décréterait immédiatement l’impossibilité de rester dans une telle « union » monétaire devenue anarchique et la quitterait sur le champ, probablement pour refaire un bloc avec quelques suiveurs triés sur le volet (Autriche, Pays-Bas, Finlande, Luxembourg). Quant aux autres nations, elles auront alors à choisir entre reconstituer un bloc alternatif ou bien retourner chacune à son propre destin monétaire, la France quant à elle tâchant de faire des pieds et des mains pour embarquer avec l’Allemagne, sans être le moins du monde assurée d’être acceptée à bord.

    Frédéric Lordon.

    http://www.revuedeslivres.fr/%C2%AB-nous-assistons-a-l%E2%80%99ecroulement-d%E2%80%99un-monde-des-forces-immenses-sont-sur-le-point-d%E2%80%99etre-dechainees-%C2%BB-entretien-avec-frederic-lordon/

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  7. Alain dit :

    Tiens, le barbon a fini sa sucette sarkozyste chez les pingouins et il revient, tranquille, les doigts dans les nez , les mains dans les poches.
    Mais qui nous prend cet arrogant membre de l’élite du gang des écharpes tricolores ?
    Il ose venir là et prêcher la bonne parole – toujours petit bras d’ailleurs – alors qu’il fut un ardent défenseur du Marché, mieux un acteur enthousiaste avec, par exemple, la privatisation de la Poste et le « parler-vrai » sauce rocardienne de l’enfumage pour faciliter le formatage des français à l’ultra-libéralisme.

    Quant à Larrouturou, je me demande qu’est-ce qu’il faut avec ce socialiste à 2€. A moins que lui n’ait retourné sa veste côté beurre.

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  8. chris06 dit :

    Michel Rocard qui dit pas mal de vérités malgré tous les mauvais procès qui lui sont fait (par ex. Alain avec son affirmation que, Rocard a facilité le formatage des français à l’ultra-libéralisme , qu’est ce qu’il ne faut pas entendre!)

    J’ai particulièrement apprécié son intervention sur France Inter en novembre dernier:

    Il y confirme notamment (c’est à partir de la dixième minute) ce que j’ai voulu expliquer sur ce blog à plusieurs reprises à propos de la loi de 1973, qu’elle correspondait à « un choix du système », la privatisation de la création monétaire et de la détermination des taux de changes, un choix imposé par Milton Friedman et l’école de Chicago après l’abandon de Bretton Woods et de la convertibilité du dollar en or par Nixon en 1971.

    Il ne s’agit donc pas juste de la loi de 73 qu’il faut remettre en cause mais de l’intégralité du système monétaire international mis en place depuis 1971.

    Les idées néo-libérales de l’école de Chicago (Milton Friedman) s’imposèrent dans la pensée économique comme une religion à partir des années 70 à la place du keynesianisme. Leur première et et plus grande victoire furent d’imposer les changes flottants après Bretton Woods (qui était l’œuvre de Keynes et de White). A partir de là, tout le reste a suivi pierre par pierre, la dérégulation des marchés, la libéralisation des échanges commerciaux, des mouvements de capitaux, l’abandon de glass steagall … et le politique qui ne peut plus rien faire car le dogme Friedmanien voulait justement que toute intervention gouvernementale dans l’économie capitaliste pour essayer de la contrôler soit inefficace et contre l’intérêt général.

    Ce fut une catastrophe. Mais beaucoup ne l’ont compris qu’après 2008.. et comme le dit Rocard, aux USA, en GB et au Japon, c’est malheureusement encore ce dogme qui domine parmi les gens qui ont de l’autorité.

    Voilà le fond du problème. Ce n’est pas simplement la loi de 73, c’est beaucoup plus fondamental.

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  9. BA dit :

    Le gros problème, c’est la situation de l’Italie.

    Jeudi 5 janvier 2012 :

    Italie : la Bourse de Milan lâche 3,65 %, la banque UniCredit dévisse encore de 17 %.

    La Bourse de Milan a terminé la séance jeudi sur une chute de 3,65 % à 14.767 points, plombée par les craintes des investisseurs au sujet des banques, et en particulier d’UniCredit qui a dévissé de 17,27 % à 4,48 euros, après s’être effondrée de plus de 14 % mercredi.

    UniCredit a entraîné dans sa chute les autres valeurs bancaires. Banca Popolare di Milano a ainsi abandonné 10,74 % à 0,2735 euro, UBI Banca a chuté de 8,90 % à 2,928 euros, et Intesa Sanpaolo 7,33 % à 1,189 euro.

    Vendredi 6 janvier 2012 :

    Italie : la Bourse de Milan chute de 0,82 %.

    A Milan, le FTSE Mib a perdu 0,82 %, le marché craignant que Rome ne doive faire appel aux fonds de l’Union Européenne et du FMI comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal.

    Le secteur bancaire a particulièrement souffert, avec UniCredit en tête des baisses pour le troisième jour consécutif (- 11,12 %). Banco Popolare Milano a perdu 4,39 %, et Intesa Sanpaolo a baissé de 4,37 %.

    (Dépêche AFP)

    Le problème, c’est cette phrase : « le marché craignant que Rome ne doive faire appel aux fonds de l’Union Européenne et du FMI comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal. »

    Quand il ne s’agissait que du défaut de paiement de la Grèce, l’Union Européenne et le FMI étaient suffisamment puissants pour placer la Grèce sous perfusion.

    Mais ensuite, d’autres dominos sont tombés, les uns après les autres.

    Mais ensuite, il y a eu l’Irlande : aujourd’hui, l’Irlande est incapable d’aller emprunter sur les marchés internationaux pour des emprunts à 1 an, à 2 ans, à 3 ans, etc. L’Irlande a été placée sous perfusion.

    Mais ensuite, il y a eu le Portugal : aujourd’hui, le Portugal est incapable d’aller emprunter sur les marchés internationaux pour des emprunts à 1 an, à 2 ans, à 3 ans, etc. Le Portugal a été placé sous perfusion.

    L’Italie, c’est autre chose.

    Demain, si le domino italien tombe, l’Union Européenne et le FMI ne seront pas assez puissants pour placer l’Italie sous perfusion.

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  10. BA dit :

    Italie : taux des obligations à 10 ans : 7,159 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GBTPGR10:IND

    Italie : la Bourse de Milan perd 1,67 %.

    La banque italienne UniCredit a chuté en Bourse lundi du fait de la forte décote attachée à son augmentation de capital. L’action de la première banque d’Italie par les actifs a chuté de 12,81 % à 2,286 euros pour le premier jour de sa levée de fonds.

    L’action UniCredit a fondu de plus de 37 % en trois jours la semaine dernière, lorsque la banque a annoncé que l’augmentation de capital serait proposée avec une décote de 43 %, au prix de 1,943 euro par action.

    L’indice Eurostoxx 50 du secteur bancaire a reculé de 2,2%, les investisseurs redoutant que des banques européennes ne soient dissuadées de faire appel au marché après l’expérience difficile que connaît leur concurrente italienne.

    « Le plongeon de l’action UniCredit, après l’annonce de son augmentation de capital la semaine dernière, indique qu’il est quasi impossible pour les banques européennes d’envisager l’option augmentation de capital pour trouver des capitaux frais », commente Franklin Pichard Directeur Barclays Bourse.

    L’opération d’UniCredit, qui cherche à lever 7,5 milliards d’euros, fait figure de test pour l’ensemble du secteur bancaire européen pressé par l’Autorité bancaire européenne (ABE) d’améliorer ses volumes de fonds propres.

    L’ABE exige que les banques européennes parviennent à un ratio de 9% d’ici la mi-2012 afin qu’elles soient en mesure d’encaisser le choc d’une éventuelle aggravation de la crise de la dette de la zone euro.

    (Dépêche Reuters)

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  11. Hadrien dit :

    Enfin, la grande presse se penche sur la loi Giscard/Pompidou de janvier 1973:

    http://www.marianne2.fr/Pompidou-et-Giscard-ont-ils-instrumentalise-l-enrichissement-des-banques_a214323.html

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    • A-J Holbecq dit :

      Super….

      Néanmoins je suis étonné de lire  » Il n’était pas non plus prévu qu’elle profitât aux banques puisqu’elle devait accompagner la fin des déficits publics »

      Alors que soldes des budgets (au sens de Maastricht) : entre 1959 et 1973 ont été, dans l’ordre (Milliards d’euros)
      0,6
      0,5
      0,5
      0,1
      0,2
      0,6
      0,4
      0,2
      -0,4
      -1,3
      0,0
      0,1
      -0,2
      0,5
      0,1
      (donc seulement négatifs en 67, 68 et 71)

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      • Hadrien dit :

        Je n’ai pu te répondre car j’étais absent de l’écran depuis quelque temps, mais je suis heureux de lire au billet suivant que ce lien n’est pas passé inaperçu.

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  12. BA dit :

    Mardi 10 janvier 2012 :

    L’agence de notation Fitch annonce que l’Italie risque de perdre son A+.

    Il y a de fortes chances pour que la note de l’Italie, actuellement à « A+ », soit dégradée lorsque Fitch aura terminé sa revue des six pays de la zone euro que l’agence de notation a mis sous surveillance avec implication négative, a dit mardi l’un de ses responsables.

    « L’une des choses qui pourrait aider l’Italie, mais sur laquelle le pays n’a aucune prise immédiate, serait de retirer la prime liée à la crise de liquidités, une situation qui suppose la nécessité d’une protection », a déclaré David Riley, responsable mondial des notes souveraines, à des journalistes.

    « Pour l’instant ce n’est pas possible, et c’est une réelle source d’inquiétude concernant l’Italie. C’est l’une des raisons pour laquelle l’Italie est sous surveillance avec implication négative, et c’est l’une des raisons pour laquelle, lorsque nous aurons terminé la revue, il y a des des chances significatives pour que la note du pays baisse », a-t-il ajouté en marge d’un séminaire organisé par Fitch.

    Les cinq autres pays de la zone euro placés sous surveillance avec implication négative par Fitch sont la Belgique, l’Espagne, la Slovénie, l’Irlande et Chypre.

    http://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2012/01/10/fitch-annonce-que-l-italie-risque-de-perdre-son-a_1627739_1581613.html

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  13. BA dit :

    Doucement vers l’abîme.

    En ce début d’année, les dix-sept pays de la zone euro cheminent plus que jamais vers l’abîme. Aucune des deux urgences ayant fait l’objet de plusieurs « sommets historiques » ces derniers mois n’ont été traitées : la Grèce se dirige vers un défaut total d’ici au mois de mars, et l’Europe n’a toujours pas mis en place de mécanisme de sauvetage crédible.

    De ce fait, alors que la crise grecque entre dans sa troisième année, la parole politique est sérieusement décrédibilisée. Il y a longtemps que les dirigeants européens ont perdu leur triple A auprès des marchés financiers ou plutôt, devrait-on dire, des épargnants qui, dans le monde entier, se demandent s’il est bien raisonnable de leur faire encore crédit.

    Comment en serait-il autrement ? Depuis plus de deux ans, les Européens répètent que le sauvetage de la Grèce est une question de survie pour la zone euro. Que le projet européen lui-même serait en ruine si l’on échouait à Athènes. Que c’en serait fini du rêve d’une Europe puissante, capable de faire jeu égal avec les autres grands blocs économiques de la planète… Or que font-ils face à l’obstacle ? Ils renâclent, tergiversent, posent des conditions, gagnent du temps, bref se montrent incapables de résoudre la crise d’un pays représentant à peine 3 % de la richesse du continent. Hier, à Berlin, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont une fois de plus sonné l’alarme. Mais ils ont aussi donné un sentiment d’impuissance alors que quatre signes inquiétants, en ce début d’année, montrent que la catastrophe n’est pas loin.

    Le premier, on l’a vu, est l’imminence d’un défaut grec. Le second est la montée de la défiance vis-à-vis de tous les pays de la zone euro à l’exception de l’Allemagne : hier, pour la première fois, des investisseurs ont prêté à des taux négatifs à Berlin, autrement dit ils ont préféré payer l’Etat allemand pour placer leurs liquidités auprès de lui plutôt que de prendre le risque de les conserver ailleurs. Le troisième est le gel des transactions entre banques, celles-ci ne se faisant plus confiance entre elles. Le quatrième est le repli sur le court terme : pour les Etats comme pour les entreprises, les horizons de prêt se raccourcissent.

    Un sursaut massif est indispensable pour éviter que tout le système financier européen ne se grippe et n’entraîne le continent dans l’abîme. Il sera vite trop tard.

    Nicolas Barré.

    http://www.lesechos.fr/opinions/edito/0201832353127-doucement-vers-l-abime-272970.php

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