175 – Etienne Chouard: tirage au sort (1)

CENTRALITÉ DU TIRAGE AU SORT  EN DÉMOCRATIE

La catastrophe financière et monétaire actuelle PROUVE tous les jours que les pires crapules, pourvu qu’elles soient RICHES, n’ont rien à craindre des élus. Je répète : la preuve est apportée tous les jours, partout dans le monde, que les canailles RICHES n’ont RIEN à craindre des ÉLUS.

Ce sont des FAITS. Et il faut avoir beaucoup de poussière sur les lunettes pour ne pas les voir.

Je signale d’abord que les riches et autres aristocrates, eux, le savent depuis longtemps : dès le début du XIXe siècle, Alexis de Tocqueville avouait déjà : « Je ne crains pas le suffrage universel : les gens voteront comme on leur dira. » Étonnant, non ? Ils le savent depuis longtemps, eux. Bien.

Pourtant, le candide que je suis, novice en politique (puisque je ne résiste aux abus de pouvoir que depuis six ans seulement) est sidéré de l’attachement viscéral des mes meilleurs amis — de gauche ; à toutes fins utiles, je précise que je ne suis pas fasciste… — attachement quasiment religieux au suffrage universel, en dépit de toutes les déceptions, en déni de toutes les trahisons.

Le suffrage universel ressemble à un MYTHE, un peu comme une vache sacrée qui serait devenue absolument intouchable, en vertu d’un dogme qui ne se discute plus, alors que, DE FAIT, elle rend possible —et même scelle durablement— l’impuissance politique du plus grand nombre, toujours et partout.

Je vous propose de donner une heure de lecture à une idée alternative méconnue, d’une puissance considérable, le tirage au sort des serviteurs politiques de la Cité. Ne lâchez pas prise avant la fin : plus on lit à ce sujet, plus on y pense librement, plus on comprend qu’on n’avait pas assez réfléchi en faisant confiance à l’élection. Nous serions tous bien mieux protégés par des institutions (démocratiques) organisées autour du tirage au sort que par des institutions (oligarchiques) fondées sur l’élection.

La principale racine de nos problèmes politiques modernes est que
nous appelons démocratie son strict contraire
:

Et pourtant les fondateurs de nos régimes —dont le vrai nom est en fait « gouvernement représentatif »— n’avaient nullement l’intention d’instituer une démocratie, au contraire ! Sieyès en France et Madison aux États-Unis, pour des raisons différentes, tenaient à écarter le peuple des décisions politiques, et ne s’en cachaient nullement (il faut lire à ce propos le petit livre formidable de Bernard Manin, « Principes du gouvernement représentatif »).

C’est par un curieux retournement de vocabulaire (assez bien décrit par Pierre Rosanvallon en 1993) que le mot démocratie s’est mis, dès le début du XIXe siècle, à qualifier un régime qui la méprisait pourtant explicitement dès l’origine.

Aujourd’hui, le fait d’appeler démocratie son strict contraire nous emprisonne dans une glu intellectuelle qui nous empêche de formuler une alternative sérieuse : nous n’arrivons pas à désigner l’ennemi car l’ennemi a pris le nom de l’ami, LE NOM de ce qui le détruirait. Tenant cette place stratégique, l’ennemi nous empêche de l’occuper.


Alors, qu’est-ce qu’une véritable démocratie ?

L’exemple d’Athènes, il y a 2500 ans, est tout à fait passionnant. Pour comprendre la logique des institutions athéniennes, et pour percevoir l’essentiel de ce qui fait leur cohérence, je vous propose un schéma (cliquer pour agrandir, puis Ctrl+roulette pour ajuster) :

Garder ce schéma sous les yeux en lisant ce qui suit.

Pour comprendre ce qui fait la cohérence de la démocratie athénienne, il faut se souvenir que les Athéniens avaient comme principal objectif (au centre (A), à ne jamais oublier) de mettre un terme à plusieurs siècles de tyrannie. Ils étaient armés et ils ont décidé, pour se protéger des tyrans, d’imposer une véritable égalité politique, tout en sachant bien qu’il était impossible (et inutile) d’imposer une égalité générale (physique, économique, sociale, mentale, etc.) ; on parle bien d’égalité POLITIQUE.


Le droit de parole publique et l’initiative populaire

Un premier pilier, dans les institutions de la démocratie, était l’isègoria (B), droit de parole pour tous à tout moment et à tout propos : les Athéniens considéraient ce droit de parole comme une hygiène de base qui permettait à la démocratie de se protéger elle-même en faisant DE CHAQUE CITOYEN UNE SENTINELLE apte à dénoncer d’éventuelles dérives oligarchiques et à protéger la démocratie, un peu comme si des milliers de paires d’yeux surveillaient en permanence que tout se passe bien, un peu comme des globules blancs. Cette égalité de droit de parole est à la fois une conséquence et une condition de l’égalité politique. Cette égalité est indissociable de la démocratie ; les Athéniens y tenaient plus qu’à toute autre institution. Aujourd’hui, en pleine oligarchie, d’une certaine façon, l’Internet nous rend (un peu) l’isègoria que les élus nous ont volée depuis 200 ans.

C’est l’isègoria qui rendait possible des citoyens actifs (C) et à l’inverse ce sont les citoyens actifs qui donnaient vie à l’isègoria. Les deux se tiennent, vont ensemble.


Des citoyens armés

Je rappelle, pour mémoire, que les citoyens athéniens étaient armés (D) ; je crois que c’est tout sauf un détail : au moment d’écrire des institutions protectrices contre les abus de pouvoir, en 1791, au moment de bâtir des remparts solides contre la tyrannie, Robespierre a écrit un important Discours sur les Gardes Nationales, expliquant que c’était folie de désarmer le peuple en laissant subsister en son sein un corps armé : pour lui, c’était le chemin garanti vers la tyrannie. Apparemment, effectivement, nous y sommes. On peut noter que les Suisses sont tous armés et que leur service militaire dure toute leur vie.


Amateurisme politique et rotation des charges, DONC tirage au sort

Pour atteindre cet objectif central d’égalité politique, constatant que le pouvoir corrompt et en déduisant logiquement qu’il faut éviter de laisser au pouvoir le temps de corrompre les acteurs, les Athéniens ont établi qu’il fallait absolument garantir, DE FAÇON TOUT À FAIT PRIORITAIRE, L’AMATEURISME POLITIQUE (E), et donc LA ROTATION DES CHARGES (F), grâce aux MANDATS COURTS ET NON RENOUVELABLES (H).

NOTA : tout ça est très logique, on ne peut pas retirer une institution sans courir le risque de créer une incohérence. LE SEUL MOYEN pour désigner les représentants en faisant tourner rapidement les charges (mandats courts et non renouvelables) ÉTAIT LE TIRAGE AU SORT (G), égalitaire et incorruptible : en effet, ce qui conduit à une élection conduit mécaniquement, tôt ou tard, à une réélection (et donc une stabilisation du personnel politique) ; l’élection conduit donc progressivement et immanquablement à la formation d’une corporation de politiciens professionnels radicalement contradictoire avec l’objectif central de l’égalité politique réelle.

DONC, si on remplace le tirage au sort par l’élection dans ce schéma, on met tout par terre, on perd la démocratie. Il faut comprendre la cohérence de l’ensemble et l’aspect décisif de la procédure du tirage au sort par rapport aux objectifs fondamentaux de la Cité et par rapport aux autres institutions (qui visent toutes les mêmes objectifs).

On n’a pas le choix : PAS DE DÉMOCRATIE SANS TIRAGE AU SORT.

_________________________

La suite bientôt, et en particulier  » Objections et réfutations des objections » , mais vous pouvez  lire l’ensemble directement sur le blog d’Étienne Chouard

A propos postjorion

Le blog d'André-Jacques Holbecq
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11 commentaires pour 175 – Etienne Chouard: tirage au sort (1)

  1. gdm dit :

    La démocratie, le dieu qui a échoué, par HH Hoppe
    http://www.polemia.com/article.php?id=1221
    « Le professeur d’économie Hans Hermann Hoppe est docteur de l’université de Francfort-sur-le-Main et senior fellow du Ludwig Von Mises Institute. Il a publié aux Etats-Unis « Democracy, the God that Failed » avec, en sous-titre, « The Economics and Politics of Monarchy, Democracy and Natural Order ».
    Ce livre, disponible aussi en allemand, étudie l’efficacité comparée de la monarchie et de la démocratie du point de vue de la science économique et à partir d’une analyse libertarienne. »

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  2. Conférence à Nice (vidéo) :
    pas de maîtrise publique de la création monétaire,
    sans le tirage au sort des représentants politiques

    http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2011/05/16/124-conference-a-nice-pas-de-maitrise-publique-de-la-creation-monetaire-sans-le-tirage-au-sort-des-representants-politiques

    Création monétaire et tirage au sort me paraissent parfaitement indissociables :
    on ne récupérera JAMAIS ‘le contrôle public de la création monétaire’ (et la prospérité)
    tant qu’on restera dans LA CAGE de ‘l’élection des représentants politiques’ (et l’indignité).

    Sur la création monétaire (dans les vidéos 1 à 3), sujet archi-connu pour vous, vous allez (peut-être) vous endormir.

    Mais sur le tirage au sort (dans les vidéos 4 et 5), ça pourrait vous plaire 🙂

    De toute façon, pour moi, les deux sont complètement intriqués, vous connaissez l’antienne d’Étienne…

    Bonne nuit à tous

    Étienne.

    http://etienne.chouard.free.fr/Europe/En_Vrac.pdf

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  3. gdm dit :

    @Étienne Chouard
    Les libertariens demandent le free-banking. C’est à dire aucune intervention, aucune régulation de l’Etat dans la création monétaire. Le prix Nobel d’économie Hayek le demandait. C’est le bon sens.

    gdm écrit « contre ce papier, je verse un euro ». Ceux qui font confiance à gdm utilisent ce papier à leurs risques. C’est rien d’autre que cela le principe de la monnaie. C’est un euro-gdm. Ni la « banque gdm » ni personne ne fait de mal à personne en utilisant les euro-gdm. Il est inique que l’Etat interdise la libre création monétaire.

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    • A-J Holbecq dit :

      Tant que vous ne vous faites pas appeler « banque gdm » (la banque est une profession réglementée) et tant que vous n’appelez pas votre reconnaissance de dette « monnaie », vous avez le droit de mettre en application votre proposition..
      Mais vous ne dites pas pour autant où et comment vous trouverez les euros que vous proposez en échange.

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      • A-J Holbecq dit :

        Correction « et tant que vous n’appelez pas votre reconnaissance de dette « monnaie en euros » » …

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      • gdm dit :

        @A-J Holbecq
        Non, une telle circulation de reconnaissance de dette viole le monopole monétaire.

        J’avais eu la curiosité de téléphoner à la Banque de France pour le savoir. On m’avait passé une juriste qui m’avait longuement expliqué toute l’étendue des interdictions. Même un forain ne peut pas émettre des jetons en cartons sans créer un établissement financier autorisé.

        Vous connaissez surement les « SEL ». De sortes de monnaies privées locales de pacotille. Ils vivent dans une tolérance, fragile et limitée, de l’administration fiscale.

        Il existe depuis 2002, une loi( novembre 2002-13) pour créer un établissement simplifié destiné surtout aux paiements internet sans avoir à créer une réelle banque. Mais à condition de ne pas faire crédit et de disposer des fonds liquides.

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    • postjorion dit :

      @gdm
      Vous commencez à « troller » sérieusement avec votre « free banking ».. il ne manque pourtant pas de blogs ou forums « libertariens »
      Oui, nous savons tous maintenant que vous êtes un adepte du free banking, alors si vous n’avez rien d’autre à dire, vous pouvez vous abstenir, ne perdez pas votre temps ici; créez vite la « GDM FREE BANK »

      Comme vous le comprenez ce n’est pas la pensée majoritaire des tenanciers et intervenants de ce blog.

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  4. gdm dit :

    @postjorion
    Une banque secondaire ne fait rien d’autre que d’émettre de la monnaie privée. C’est exactement ce que vous lui reprochez. Chaque unité monétaire émise par la BNP est un « euro-BNP ». Jégu était d’accord pour cette autre formulation de ce qu’il appelle une « euro-promesse ». C’est une promesse de verser un « euro-BCE », c’est à dire un vrai euro de monnaie centrale.

    La BNP a toujours respecté sa promesse de verser un euro-BCE. Un euro-BNP apparaît comme un titre financier ordinaire, comme une promesse. Je dis seulement que cette interdiction légale d’émettre des euro-BNP serait inique, mal fondée.

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    • postjorion dit :

      Oui, vous l’avez déjà dit plusieurs fois, nous avons très bien compris, inutile de le répéter sous différentes formes à chacun de vos commentaires.

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