98 – Article invité : A-J Holbecq « monétiser la dette publique »

Par notre participation aux recettes directes ou indirectes de l’État, nous devons collectivement payer un intérêt à ceux qui ont la possibilité de prêter aux administrations publiques, lorsque celles ci ont des besoins de trésorerie (investissement ou fonctionnement) supérieurs à leurs recettes. Ces créanciers détiennent ainsi des « titres de dette », tels que Bons du Trésor (BTF ou BTAN) et les Obligations (OAT). Au fil des années, cet argent distribué aux plus riches s’accumule et les intérêts qu’il faut payer plombent les finances publiques. Qui plus est, leur montant est tel, qu’ils nécessitent l’émission permanente de nouveaux titres de dette souvent proches d’ailleurs montant des intérêts des emprunts antérieurs,  et impose de couvrir, par de nouveaux emprunts, le besoin de trésorerie des  administrations publiques.

Les intérêts payés entre 1980 et 2008 représentent 1306 milliards d’euros, et la dette brute sur la même période est passée de 239 à 1327 milliards d’euros, soit une multiplication par 5,5 (37 000 € par foyer fiscal). Elle atteint, en 2010 les 1500 milliards d’euros.

Si nous n’avions pas eu d’intérêts à payer, si l’État avait pu émettre notre monnaie, ce qui lui est interdit depuis la réforme des statuts de la Banque de France de 1973 et l’inclusion de cette règle au niveau européen depuis le Traité de Maastricht,  la dette initiale de 239 milliards d’euros à fin 1979 aurait totalement disparu entre 2005 et 2007 (l’année 2008 correspondant à un endettement atypique comme l’est  également 2009,  et le seront 2010 et sans doute 2011). Tout au long de ces années, les soldes auraient été positifs pour un total de 217,8 milliards d’euros qui auraient pu être utilement utilisé pour le bien être collectif de la population ou le financement à long terme d’équipements « écologiques ».

(La justification de ces chiffres se trouve sur le document téléchargeable sur :
http://monnaie.wikispaces.com/file/detail/dette-publique.pdf )

Voici d’ailleurs, sous forme graphique, cette évolution depuis fin 1979, l’accumulation de dette antérieure procédant d’ailleurs des mêmes causes.

(graphique de A-J Holbecq)

Nous payons chaque semaine 1 milliard d’euros d’intérêts, plus de 50  milliards d’euro par an, à des investisseurs privés, soit 2600 € par foyer fiscal imposable (sans pour autant parvenir à rembourser le moindre centime du capital  emprunté !). C’est maintenant plus que  l’impôt sur le revenu perçu en France et c’est autant de financement qui disparaît des capacités d’action de l’État et des autres administrations publiques.

Puisque les traités en cours nous empêchent de procéder comme nous le souhaiterions, peut être faudrait-il procéder ainsi :

1 – Le gouvernement français « menace » de quitter la zone euro si dans un délai court les statuts de la BCE et l’article 123 du Traité de Lisbonne ne sont pas revus dans le sens de permettre à chaque État de bénéficier de la possibilité de se financer auprès de la BCE et d’y transférer progressivement les obligations publiques arrivant à échéance.

2 – Proposition que les financements à long terme nécessaires au développement durable et écologique (croissance verte) pourraient l’être par la simple adjonction d’un paragraphe supplémentaire à l’article 123/1 du Traité de Lisbonne et une très légère modification des Statuts de la BCE.

En effet : c’est actuellement l’article 123 du Traité de Lisbonne (TFU) qui nous gouverne (ancien article 104 du traité de Maastricht):

1. Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.

Que l’on peut traduire par : « Les États ne peuvent plus créer la monnaie, maintenant ils doivent l’emprunter auprès des acteurs privés en leur payant un intérêt ruineux qui rend tous les investissements publics hors de prix mais qui fait aussi le grand bonheur des banques privées et des rentiers» …

Les propositions d’adjonctions pourraient être sensiblement celles ci :

1 – suppression progressive de la dette

«  Dans le but de supprimer les obligations de paiement d’intérêts sur les dettes publiques de chaque pays de la zone euro, les dettes de ceux-ci seront remboursées aux échéances aux détenteurs actuels par monétisation de nouveaux titres achetés par la Banque Centrale Européenne dans la limite annuelle de X % de la dette initiale. »

Progressivement car monétiser d’un seul coup l’ensemble de la dette serait évidemment suicidaire.

Voyons une possibilité au niveau de la France pour laquelle la dette à fin 2009 atteint sensiblement 1500 milliards d’euros, générant par des intérêts à payer à 4% une dette supplémentaire de 60 milliards par an.

Pour la simplification de l’explication, admettons ici que la banque centrale décide de monétiser tous les ans 100 milliard d’obligations arrivant à échéance, plus les intérêts dus sur le solde au taux moyen de 4%, et que le budget des Administrations publiques est équilibré hors intérêts à payer.

L’année 1, la banque centrale devrait donc monétiser 100 + (1500 x 4%) =160 Md€ qu’elle transfèrerait au Trésor Public pour paiement des titres de dette arrivant à échéance.

La seconde année la dette serait ainsi réduite à 1400 milliards. La banque Centrale monétiserait 100 + (1400 x 4%) = 156 Md€

Les années suivantes verraient les besoins de monétisation suivants : 152, 148, 144, 140, 136, 132, 128, 124, 120, 116, 112, 108, 104, 100,   et le solde de dette (hors banque centrale) baisserait chaque année de 100 Md€

Et donc la 16° année le capital de la dette de 1500 Md€ plus les intérêts payés de 480 Md€, soit un total d’environ 2000 Md€, seraient donc « gelés » sous forme de nouvelles obligations du Trésor (OATI : Obligations du Trésor à Terme Indéfini), sans intérêts à payer, par un transfert total à la Banque de France qui rappelons-le, est propriété à 100% de la Nation.

Cette monnaie s’intégrerait effectivement en plus dans le circuit économique, mais sur une longue période, sans risque d’inflation!

2 –  Nouveaux besoins d’investissements nécessaires (transition énergétique)

« Dans le but de soutenir l’économie des pays membres, et par exception au paragraphe 1, soit le Trésor Public, soit un établissement de crédit nommément désigné pour chaque État, peut obtenir de la part de la Banque Centrale Européenne les fonds correspondants aux obligations d’État déposées en contrepartie, pour une utilisation exclusive d’investissements reconnus d’utilité publique, collective ou écologique, dans des domaines d’application dont la liste aura été préalablement définie et votée par le Parlement de chaque État. Le taux d’intérêt appliqué à cette émission monétaire sera celui dit « de refinancement » appliqué aux établissements de crédit privés. »

Évidemment, ce faible intérêt payé par un pays (actuellement le taux de refinancement est de 1% annuel) reviendrait dans un « pot commun » dans les comptes de la BCE (zone euro) et serait donc repartagé au prorata des parts de chaque État de la zone euro. Un État qui emprunterait proportionnellement plus que les autres en rapport de sa participation dans la BCE serait donc redevable d’une partie des intérêts qu’il ne récupérerait pas mais qui deviendrait donc une recette supplémentaire pour les autres pays.,

Lorsque les États en auront assez de se faire plumer, ils décideront de faire monétiser progressivement les titres arrivant à échéance par leur banque centrale

Les monétaristes ne sont pas choqués que le taux de croissance (annualisé sur 6 mois) de M3 dans la zone euro a atteint près de 13% en 2007, et que sa moyenne entre 2002 et 2007 ait été proche de 10

S’il n’est pas possible de s’entendre, il faudra quitter l’euro, considérer que la dette due est transformée en « francs » au taux d’entrée dans la zone euro, ce qui amènerait a une dette totale de 9840 milliards de francs (1500 milliards d’euros x 6,56) et décider de rembourser la dette aux échéances des obligations, en procédant de la même manière à une émission d’obligations nouvelles monétisées par la Banque de France.

En conclusion

Si une collectivité a:

1 – un besoin (collectivement souhaitable),
2 – la volonté de le satisfaire,
3 – les moyens techniques et énergétiques,
4 – un excès de main d’œuvre et le savoir-faire,

… l’impossibilité souvent alléguée du manque de financement est une mauvaise excuse car une vraie richesse résultera d’une création monétaire éventuellement nécessaire pour la réaliser. Il faut évidemment par la suite « détruire » cette monnaie;  l’impôt y pourvoira par remboursement progressif d’une dette sans intérêts (et donc la destruction des obligations correspondantes) au fur et à mesure de l’usure, c’est-à-dire de l’amortissement, des richesses dont la production aura été permise par l’émission monétaire, ce qui, évidemment, n’empêche pas l’émission de nouvelle monnaie pour de nouveaux projets.

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Le blog d'André-Jacques Holbecq
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11 commentaires pour 98 – Article invité : A-J Holbecq « monétiser la dette publique »

  1. Olivier dit :

    Bonjour,

    Il me semble que le calcul présenté revient à cumuler ce que l’on appelle le solde primaire des administrations publiques (c’est-à-dire le solde budgétaire hors charge d’intérêts).
    Or, ce solde a été négatif chaque année depuis trente ans sauf en 1979-1980-1999-2000 et 2001. (Voir http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1136&reg_id=0
    tableau 6)

    J’ai peur que le calcul que vous proposez ne surestime les taux d’intérêt payés
    (voir par exemple page 8 de :

    Cliquer pour accéder à rapport-finances-publiques.pdf

    En fait le budget est déficitaire même hors charge d’intérêt et ne peut que conduire à une dette publique croissante.

    Cordialement,

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    • A-J Holbecq dit :

      Bonjour

      Critique intéressante.

      Je suis effectivement parti d’un calcul théorique des intérêts payés chaque année sur la dette en moyennant les taux d’intérêts à 10 ans (constatation mensuelles)fournis par la banque de France, et je ne nie donc pas qu’il puisse y avoir des différences avec la réalité, surtout que l’iNSEE procède assez régulièrement à des « révisions » de ses données.

      Je suis justement en train de refaire un calcul à partir de TEE et des tableaux « 1.607 Dépenses et recettes des Administrations publiques » de l’INSEE.

      En partant de ces données (que je ne mets pas en doute)on s’aperçoit que nous avons payé 1311 Md€ d’intérêt (en euros valeur 2009) depuis 1973 et 504,7 Md€ depuis 2000.

      Je suis en train de préparer quelques graphiques représentatifs de ces données, mais au delà d’une bataille sur des chiffres, ce qui me semble important c’est que le citoyen prenne conscience que nous avons payé des sommes considérables que nous aurions pu éviter avec par exemple une application simple de financement des investissements par monétisation directe de la Banque Centrale et/ou le « 100% monnaie »

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      • Bruno Lemaire dit :

        @Olivier et @AJH,

        sans entrer dans des querelles de chiffres, je trouve que la proposition d’André-Jacques est plus qu’intéressante, elle est à la fois concrète et réaliste, et politiquement jouable. (Surtout par rapport à « ma » proposition, qui consistait à faire le coup des emprunts russes, et d’annuler la dette)

        Bravo pour cette proposition, et voyons auprès de nos politiques comment la faire passer.

        Très cordialement, Bruno.

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    • A-J Holbecq dit :

      Re

      Devant la difficulté d’obtenir (à moins que vous ne les ayez trouvés) les montants en valeur (et non en pourcentage de PIB) des soldes primaires des budgets des APu et des soldes intérêts inclus (solde final), êtes vous d’accord avec moi pour considérer
      que les lignes « besoins ou capacités de financement des APu » sont représentatifs du solde final du budget, duquel, si on soustrait les intérêts à payer, le montant aboutit au solde primaire?

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      • Olivier dit :

        Bonjour,

        Je suggère sur le site de l’INSEE le tableau 1.607

        http://insee.fr/fr/themes/comptes-nationaux/tableau.asp?id=1.607

        (série longue disponible remontant à 1959 sur le site)

        qui donne les charges d’intérêt (ligne D41) et le solde budgétaire de Maastricht (dernière ligne « Capacité (+) ou besoin (-) de financement »)

        Attention, outre les intérêts de la dette payés, il y a aussi des intérêts perçus par les administrations dans le chapitre recettes, si on considère que l’intérêt est illégitime on devrait aussi ôter ce poste ?

        Je ne sais pas si c’est parfaitement exact (est-ce-que ça colle avec le document du Sénat, par exemple), il y a peut-être des petits trucs en plus ou en moins.

        Pour les taux, je crois que la dette n’est pas financée entièrement sur des OAT à long terme, il y a pas mal de papier à court terme qui doit avoir un intérêt moins cher (BTAN) donc les taux de l’OAT 10 ans ont tendance à surestimer la charge de la dette.

        Cordialement,

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        • A-J Holbecq dit :

          Olivier
          Nous sommes bien d’accord, c’était ce que j’étais en train d’utiliser.

          La seule difficulté vient du fait que le calcul du solde de la dette Maastricht débute, dans les stats de l’INSEE ( 1.606a Dette publique au sens de Maastricht (*) ) en 1978, au montant de 72,8Md€ courants… que s’est-il passé entre 1973 et cette date? (ca ne peut pas être expliqué par les soldes entre 1973 et 1978)

          Donc, même si je puis l’évaluer, je ne sais pas exactement quelle était la dette au début 1973 date à laquelle j’essaye de faire partir ces nouveaux calculs

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  2. Olivier dit :

    J’ai trouvé le passage du déficit annuel du budget à la dette au sens de Maastricht (tableau 3.345)

    http://www.insee.fr/fr/indicateurs/cnat_annu/base_2000/secteurs_inst/xls/t_3345.xls

    Notamment les postes « acquisitions d’actifs – cessions » – notamment achat / vente de pièces, bons du trésor, toussa.

    La dette de Maastricht n’existe que depuis le traité du même nom, elle a été recalculée après coup pour remonter jusqu’en 1978.

    Cliquer pour accéder à nb6.pdf

    page 31

    Pas sur qu’on arrive à reconstituer pour les périodes antérieures, mais bon on parle de 73 miyards en 1978 contre 1500 maintenant, c’est un détail 😉

    Cordialement,

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    • A-J Holbecq dit :

      Olivier
      Hola, attention, 73 Md€ en 78, ce sont des euros courants… si on transforme en euro constants 2009, c’est aux alentours de 230 Md€

      Entre 1973 et 1978 (en euros constants 2009)
      Intérêts payés:
      4,6 5,4 8,5 8,1 9,7 11,4
      Donc, cumul des intérêts payés:
      4,6 10,0 18,5 26,6 36,2 47,7

      Mais les capacités ou besoins de financement étaient dans la même période:
      1,9 3,0 -26,3 -14,0 -9,8 -17,6

      Ceci ne donne donc aucune explication pour l’origine de la dette de 230 Md€ en 1978.
      Pour qu’il y ait des intérêts en 1973, il a fallu que Giscard décide qu’un capital représente déjà une dette: ce que je ne trouve pas, c’est le montant de la dette originaire imputée en 1973…

      Si vous avez une idée…

      C’était bien une des raisons pour lesquelles, quand j’ai commencé les calculs sur la dette, j’ai du démarrer en 1979 avec des taux d’intérêts moyennés (et vous avez raison, les 10 ans « exagèrent » sans doute un peu les intérêts payés … mais vous verrez qu’en définitive l’erreur est relativement faible et ne mets pas en péril le raisonnement et l’argumentaire concernant le fait que nous avons payé quasiment autant d’intérêts que l’augmentation de la dette)

      Cordialement

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      • Olivier dit :

        Bon, si on commence en 1978 on a toutes les données alors.

        Ce qui ne change rien au constat global: le budget est déficitaire quasi en permanence depuis plus de 30 ans. C’est quand même à cause de cela que la dette existe !

        Quand à la possibilité de faire marcher la planche à billets, il y en a qui on essayé, ils ont eu des problèmes… 😉

        Cordialement,

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  3. David CABAS dit :

    Face au chantage de l’empire financier :

    Crise des « subprimes », crise bancaire, accélération de la destruction de l’agriculture, de l’industrie et des emplois. Puis aujourd’hui crise de l’euro, crise de la dette publique des États, destruction du service public, chantage sur les retraites. Sans oublier les divers plans injustes pour sauver les banques !

    Nous devons nous organiser et nous mobiliser massivement pour demander à faire la lumière sur la crise financière en convoquant immédiatement une commission d’enquête parlementaire !

    Rejoins moi sur mon groupe facebook : http://fr-fr.facebook.com/group.php?gid=104166076293247&ref=ts

    David CABAS
    david.cabas.over-blog.fr

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  4. A-J Holbecq dit :

    Commentaire d’Hadrien…

    Un traitement de la dette publique très différent
    …DE PART ET D’AUTRE DE L’ATLANTIQUE :

    Un livre récent, sorti la semaine dernière en librairie, vient renforcer l’éclairage sur la non-monétisation de la dette par voie de Banque centrale, malheureusement scellée chez nous par les traités de Maastricht et Lisbonne, et qui nous livre pieds et poings aux desiderata de l’Allemagne…
    Il s’agit de « Sortir de l’euro ou mourir à petit feu », par Alain Cotta, Plon, 2010:

    ALAIN COTTA:
    » Depuis 2008, depuis sa hausse trés significative à un niveau voisin de celui de la France…, le Trésor américain emprunte auprés de la Banque centrale et non des épargnants américains qui eussent été et sont toujours incapables d’un tel effort. Le déficit américain comme le déficit des finances publiques chinois est, en termes plus techniques « monétisé ». On crée [en échange de bons du trésor non commercialisés] de la monnaie dont on fait cadeau à l’Etat fédéral ou à l’Etat chinois, sans d’ailleurs que cette monétisation soit suivie d’inflation.

    Pour les pays européens, il en va tout autrement. Les déficits, même en croissance trés affirmée ces trois dernières années, sont financés par l’épargne. Pour deux raisons: l’orthodoxie financière affirmée d’une Banque centrale sous contrôle allemand – on ne donne pas le mark sans droit de suite – et, bien sûr, l’existence d’une épargne abondante [on verra chez qui!]…
    L’essence même de la non-monétisation – condition de l’Allemagne à l’euro – conduit à augmenter le montant des obligations d’Etat au niveau exact de la somme des déficits budgétaires des pays de l’euro, soit aujourd’hui prés de quatre trillions (4000 milliards) d’euros qui, ajoutés au montant de l’endettement privé, porte le total de l’endettement des pays de l’euro à presque 9 trillions d’euros, soit à peu prés 100% du produit (national) de la zone…

    A dette publique, créanciers privés… L’accumulation de ces intérêts plus celle des créances, jointes toutes deux à la « stabilité des prix », font de la rente et des rentiers les grands bénéficiaires de l’euro. Que ça dure, souhaitent-t-ils, en continuant à voter pour les candidats pro-euro. Et il n’est pas étonnant, vu notre situation démographique, que tous les candidats, partout, soient tous ou presque pro-euro. La démographie des pays européens engendre la gérontocratie politique puisque plus de la moitié des électeurs ont désormais plus de cinquante ans, déjà rentiers pour certains, le devenant pour d’autres, à la mesure de leurs retraites et des revenus de leurs placements.

    Cette montée continue de la rente en Europe est concomittante à la faiblesse de l’investissement et à la quasi-stagnation qui l’accompagne. Cette vieille relation – négative, plus la rente est élevée, plus l’investissement est faible – s’est d’ailleurs accentuée avec la mondialisation. Les entreprises privées qui s’endettent en Europe le font pour investir « ailleurs », en Asie essentiellement… »

    Alain Cotta poursuit sur l’impossibilité du statu quo dans la monnaie unique actuelle:

    » La voie officielle, politique: l’euro doit demeurer la monnaie -unique- d’un ensemble de nations qui devront observer, pour atteindre cet objectif, plusieurs conditions dont le bouquet ressemblerait à l’adoption de la fleur allemande par chacune… contenir les salaires, accroître les impôts indirects sur le consommateur et non sur les entreprises, etc.
    Elle aurait toutes chances d’être adoptée et suivie, si deux contraintes ne l’empêchaient de danser ensemble et en rond.

    – D’abord la situation économique actuelle de la plupart des pays de l’euro, celle-ci ayant pour origine essentielle la non-monétisation, à l’allemande des déficits publics: la croissance dans la plupart de ces pays a fait place à une recession affirmée en 2008 (France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne…) suivie d’une quasi-stagnation en 2009. Il est donc impossible de baisser les déficits publics d’une façon significative, de 2% à 4% par exemple, dans les deux ou trois ans à venir (2013), encore moins dans l’année qui vient. Toute diminution de ces déficits provoquerait dans certains pays, dont la France, le retour à la recession et l’accroissement du chômage. Beaucoup plus déterminantes seraient des réactions sociales qui suivraient sans aucun doute toute politique d’austérité en Espagne où le chômage est de 20% et 30% chez les jeunes, et en France où ces deux taux atteignent 10% et 20%…
    Comme la fameuse rigueur ne saurait être administrée qu’à petites doses, contraintes de durer longtemps, l’Allemagne pourrait avoir comme dessein justifié et à peine secret d’expulser de la zone euro des nations peu ou trop peu receptives à ses recommandations via Bruxelles et Francfort. Cette menace allemande de l’expulsion, pour l’instant de leur seul fait, ne fait que donner du champ et justifie l’intervention permanente et encore plus menaçante de la fameuse spéculation. La menace d’expulsion ne peut donc qu’accroître l’instabilité des marchés obligataires des pays menaçés, accélérer sans doute leur expulsion, donc détricoter dans l’urgence des crises locales l’euro actuel.

    – Même sans désordres convaicants, une résistance purement politique à la généralisation des programmes d’orthodoxie néolibérale aurait toute chance de se manifester… Les politiques savent qu’on ne sépare pas un peuple de ses racines, sa composition se fût-elle modifiée depuis un demi-siècle au nom d’un fédéralisme sans autre justification qu’économique, d’autant qu’elle s’est révélée un alibi grossier à des choix purement politiques et qu’elle cède aujourd’hui sous le constat d’une stagnation qui menace d’être durable – au mieux.
    D’ailleurs, abandonner les prérogatives fiscales et budgétaires au profit d’une instance administrative (ou non), aprés l’avoir fait pour la souveraineté monétaire, condamnerait les représentants du peuple à devenir, comme le suggère Pagnol dans Topaze, des décideurs de la localisaton des pissotières, sans doute mises auparavant sur de commodes roulettes. A quoi se réduirait, en effet, un Parlement national dépouillé de ses pouvoirs monétaires, de change, de fiscalité et de dépenses publiques (Sécurité sociale et collectivités locales incluses) ? Pourquoi conviendrait-il de continuer à rémunérer ces « représentants » réduits à essayer d’impressionner ou de corrompre les fonctionnaires communautaires ? L’indifférence et l’ignorance des citoyens ont des limites. «

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